3 - Modes d’actions des drogues sur le système nerveux
3.1- Le circuit de la récompense
Lorsqu’un
individu pratique une activité amenée à lui procurer du plaisir, des neurones
envoient un signal électrique libérant un neuromédiateur de type dopamine
(appelée communément la molécule du plaisir).
La dopamine
est sécrétée par une hormone naturelle présente dans notre organisme (la phényléthylamine).
Le système de
récompense est composé de l'ATV (l'aire tegmentale ventrale) qui est constituée
d'un groupe de neurones contenant la dopamine.
Ce sont ces
neurones appelés neurones à dopamine qui
sont à l'origine de nos sensations de plaisir.
Ils se situent
entre autres dans une région du cerveau appelé le noyau accubens qui se trouve
à la base du cerveau.
La dopamine
libérée va exciter les neurones post synaptiques du cortex en leur
transmettantun signal. Ensuite la dopamine est re-capturée par le neurone à
dopamine.
Le signal cesse lorsque la dopamine
est éliminée.
Figure 4 : Le circuit de la récompense
Figure 5 : Action de la dopamine
Les chercheurs ont
découvert que les drogues qui créent une dépendance augmentent la quantité de
dopamine de notre circuit de la récompense.
3.2- La notion de dépendance
Toutes les drogues produisent un phénomène de dépendance,
c'est-à-dire une perte de contrôle des prises qui envahissent la vie du
toxicomane.
Bien entendu, les effets sur l’organisme dépendent de la
drogue considérée et de la dose.
Comme nous l’avons vu auparavant, toutes ces substances interagissentle
circuit de la récompense.
Lorsque la drogue vient à manquer l’individu ressent un manque
qui se manifeste par des signes de nervosité, d'agressivité, de violence, douleurs
physiques, contractures musculaires et abdominales, sensations de vertige et troubles
psychiques, hallucinations, déformation des perceptions, des sensations…
Cependant, le terme de dépendance est assez flou. Il englobe
aussi bien l’accoutumance que la toxicomanie (addiction), deux termes à ne pas
confondre. Effectivement on peut êtreaddict à la cocaïne et accoutumé à son
téléphone portable ou au chocolat.
Lorsque que l’on fait régulièrement quelque chose que l’on
aime, on développe une forme de dépendance.Par exemple une personne jouant
régulièrement aux jeux-vidéos se mettra à concentrer sa vie autour, oublier
d’importantes activités sociales, augmenter ses doses… il développe donc une
accoutumance !De plus si l’individu arrête de jouer, il ressentira un
effet de stress. Lorsqu’il recommencera à jouer, une sensation d'apaisement et
de tranquillité apparaitra.
Sans le savoir, l’individu développera tous les symptômes
d’un toxicomane.
Le terme de dépendance englobe donc les toxicomanies mais
aussi d’autres dépendances, appelé accoutumances ou "Toxicomanies sans
drogues" (jeu d’argent, achat, travail, sexe, …)
Il faut savoir que la
dépendance peut être psychique ou bien physique.
Dans le cas d’une dépendance
psychique, la privation du produit entraine une sensation d’angoisse, de
malaise allant jusqu’à la dépression. En effet, l’arrêt de la consommation
bouleverse les habitudes de l’individu et crée un vide permettant la
réapparition d’un mal-être que la consommation visait à supprimer. Ce mal-être
peut expliquer la survenue de rechutes potentielles.
Dans le cas d’une dépendance
physique, le produit est réclamé par l’organisme. Cette demande de
l’organisme se traduit par des symptômes traduisant un état de manque :
courbatures, insomnie, agitation, sueurs, tremblements, nausées, …
3.3- Typologie des drogues, effets et dangerosité
Les drogues
peuvent être classées en trois catégories selon leurs effets:
·
Les
perturbateurs : drogues qui perturbent le jugement.
Par exemple le
cannabis, les colles, les solvants, les champignons hallucinogènes, la
mescaline (PCP),…
·
Les
stimulants : qui provoquent une sensationd’euphorie (cocaïne,
crack,ecstasy...)
·
Les
dépresseursqui provoquent une sensation de bien-être (héroïne et GHB (drogue du
viol)).
Le tableau
ci-après donne la classification issue du rapport sur la dangerosité des drogues
(psychotropes) par le professeur Bernard Roques et adressé au Secrétaire d'État
à la Santé de l'époque, M. Kouchner, à l'issue des Rencontres Nationales sur
l'Abus de drogues et la toxicomanie (France, juin 1998).
Opiacés
(héroine)
|
Cocaïne
|
MDMA
(ecstasy) |
Cannabis
|
Alcool
|
Tabac
|
|
Dépendance physique
|
très forte
|
faible
|
très faible
|
faible
|
très forte
|
forte
|
Dépendance psychique
|
très forte
|
forte
(intermittente) |
Forte
|
faible
|
très forte
|
très forte
|
Neurotoxicité
|
faible
|
forte
|
très forte
|
Nulle
(*)
|
forte
|
nulle
|
Toxicité générale
|
forte
|
forte
|
très forte
|
très faible
(*)
|
forte
|
très forte
|
Dangerosité sociale
|
très forte
|
très forte
|
Faible
|
Faible
(*)
|
forte
|
nulle
|
Traitements substitutifs existants
|
OUI
|
recherche en cours
|
NON
|
non recherché
|
OUI
|
OUI
|
Figure 6 : tableau de
classification des drogues (Rapport Roques)
(*)Il faut noter que ce rapport a été critiqué car il
fait état d’une faible dangerosité du cannabis. L’INSERM (Institut National de
la Santé et de la Recherche médicale) constate l’étendue des lacunes des études
sur ce thème. Il n’y a pratiquement pas d’études sur les effets de la consommation chronique de
cannabis et sur les effets du cannabis pris à forte dose. Cependant les experts
de l’INSERM considèrent ce produit n’est pas anodin car sa consommation
intensive peut produire des effets sur la santé mentale mais aussi sur le
comportement social.
Nous allons
maintenant décrire succinctement chacune des drogues mentionnées dans le
tableau en Figure 6.
Héroïne / morphine : la morphine est un composant de l’opium qui est naturellement
contenu à l’intérieur des capsules d’une plante appelée le pavot. L’opium est
consommé depuis l’antiquité. L'héroïne a été synthétisée à partir de la
morphine par un chimiste en 1874. Elle peut être respirée ou injectée. Les
jeunes consommateurs reniflent généralement cette drogue mais comme l'effet
n'est pas très rapide, ils finiront par l'injecter dans les muscles ou dans les
veines.
Cette prise de drogue est souvent
suivie d'une sensation d'euphorie puis de somnolence, avec parfois des nausées,
des vertiges, mais aussi un ralentissement du rythme cardiaque.
En cas d'usage répété, le plaisir
intense des premières consommations ne dure en général que quelques semaines et
certains troubles plus graves apparaissent, comme l'anorexie et l'insomnie.
Photo de pavot, de morphine et
héroïne.
La cocaïne :
la cocaïne est une molécule extraite des feuilles de coca, plante cultivée en
Amérique du Sud. La cocaïne est un stimulant majeur du système nerveux central.
Elle comporte de très forts risques de dépendance, risques qui seront accrus si
le consommateur s'injecte la drogue ou la fume (sous forme de crack ou de base
libre).
La cocaïne provoque une euphorie
intense et permet aussi au consommateur de se maintenir en état d'éveil.
Elle engendre une dilatation des
pupilles, une augmentation du risque cardiaque, des blessures à la bouche ou
des problèmes nasaux. Elle a aussi un effet anorexigène en cas de consommation
régulière.
Après consommation, elle engendre un
état dépressif, une grande anxiété et des troubles du sommeil.
A long terme, elle provoque un
épuisement des neurotransmetteurs, le cerveau ne produit plus suffisamment de
dopamine et le consommateur a du mal à ressentir du plaisir et il devient
difficile pour lui de renoncer à la cocaïne.
Un surdosage entraine des troubles
cardiaques, une dépression respiratoire et des convulsions. La cocaïne est la
drogue qui occasionne le plus de décès par surdosage.
Photo d’un échantillon de cocaïne.
Les amphétamines : les amphétamines sont une famille de produits de synthèse
découvertes par un chimiste à la fin du 19ieme siècle. Ces produits entraînent
une dépendance psychique et physique très forte. Cette famille inclut l’amphétamine, la
méthamphétamine (deux fois plus puissante que l’amphétamine) et la MDMA
(hallucinogène stimulant communément appelé ecstasy).
Les symptômes d'intoxication aux
amphétamines sont, la plupart du temps, similaires à ceux de la cocaïne. Les
amphétamines sont produites dans de laboratoires clandestins à partir de
produits chimiques et de médicaments en vente libre (éphédrine, acide
chlorhydrique, éther, ammoniac…).Elles sont principalement consommées par voie
orale sous forme de comprimés ou cristaux, ou pat intraveineuse sous forme de
poudre qui produit des effets plus rapides et plus intenses.
Photo d’un échantillon d’ecstasy.
Le cannabis :
le cannabis est une plante originaire d’Asie, le chanvre indien. Il est
généralement fumé et produit des effets quasi instantanés sur le cerveau. Une
personne ayant consommé du cannabis présentera différents symptômes : yeux
rouges, éclats de rire spontanés ainsi que quelques difficultés motrices, trous
de mémoire, …
Il est parfois possible que des
effets secondaires plus dangereux apparaissent comme l’anxiété, la paranoïa,
une désorientation, des hallucinations,
Consommée
régulièrement, cette drogue peut rendre le consommateur apathique et passif
(ses intérêts et son ambition diminueront). Ce syndrome est appelé syndrome
a-motivationnel.
Photo d’un échantillon de cannabis.
Alcool : Quand on
parle couramment d’alcool en fait on désigne la molécule d’éthanol.L’éthanol
est obtenu par la fermentation ou distillation de végétaux riches en sucre
(fruits, légumes ou céréales). Lors de la fermentation alcoolique, le sucre des
végétaux est transformé en éthanol sous l’action des levures (naturellement
contenues dans les végétaux ou ajoutées). Ce processus chimique est connu
depuis des millénaires mais n’a été expliqué qu’en 1815 par un chimiste
(Gay-Lussac).
La
consommation habituelle d’alcool peut provoquer une dépendance (l'alcoolisme)
qui entraînera à son tour des maladies plus graves, voire incurables, reléguant
ainsi l'alcool dans la catégorie des drogues.
L'alcool
éthylique est une drogue psychotrope (c'est à dire qu'elle agit sur le
cerveau) : il réduit la concentration, la vue et la mémoire, il altère le
jugement, et réduit le temps de réaction et la coordination, il peut provoquer
des troubles de la vision.
L'alcool
provoque une sensation artificielle de bien-être et de satisfaction.
Tous ces
troubles sont passagers, et se font ressentir lorsque la prise d'alcool est
occasionnelle. Si elle est excessive, des maladies plus graves peuvent se
déclarer (cancers, cirrhose).
Photo d’une fermentation alcoolique
du raisin
Le tabac et la nicotine : letabac élaboré à partir de feuilles séchées de plantes de tabac, une espèce originaire d'Amérique centrale appartenant au genre botanique Nicotiana. Le tabac contient naturellement de la nicotine qui est une
substance ayant une action sur le cerveau (psychoactive).
Le tabac est consommé principalement fumé sous forme de cigares, de cigarettes, à l'aide d'une pipe ou d'un narguilé.
Son usage s'est répandu dans le monde entier suite à la
découverte de l'Amérique. La consommation de tabac entraine souvent une dépendance durable et sa consommation est responsable de plus de 6
millions de décès par an dans le monde, ainsi que de nombreuses maladies comme
des maladies cardiovasculaires, des cancers, des maladies respiratoires, des
maladies digestives,…
Photo de tabac et de feuille de tabac
3.4- Modes d’actions sur lesneurones selon les substances
Il existe 3 modes d’action des
drogues sur les neurones :
a)
La
substance imite la structure moléculaire de neurotransmetteurs
b)
La
substance contribue à amplifier l’effet naturel du neurotransmetteur
c)
La
substance bloque ou ralenti le neurotransmetteur
Ces actions ont pour
résultat d’augmenter la libération de la dopamine et par conséquent simulent un
plaisir fictif.
Figure 7 : schéma de synthèse
des modes d’action des drogues sur les neurones
a.
Imitation des
neuromédiateurs naturels
Il existe dans le cerveau des
neurones (appelés neurones inhibiteurs)
qui régulent naturellement la quantité
de dopamine libérée. Ils libèrent en permanence un neurotransmetteur appelé
GABA (acide gamma-aminobutyrique) qui inhibe la libération de dopamine. Le GABA
ralentit la transmission nerveuse et évite donc une hyperactivité neuronale et
favorise la tranquillité et l’apaisement.
En cas de douleur, des substances sont
naturellement fabriquées par le corps, les endorphines
(enképhalines, dynorphynes), quifreinent l'action de ces neurones inhibiteurs.
Ainsi, les neurones à dopamine ne
sont plus inhibés et ils libèrent alors plus de dopamine dont l'action va
atténuer la douleur ressentie.
Les opiacés (héroïne
et morphine) ont une structure moléculaire similaireaux endorphines (dynorphine) (voir Figures 8 et 9)
Ces molécules imitatrices peuvent
alors se fixer sur les récepteurs à endorphine(dynorphine), et ainsi augmentent la libération
de dopamine ce qui entraine un effet euphorisant et une sensation de bien-être
lors de la prise de substances opiacées.(Voir Figure 7)
Le cannabisfonctionne
également de la même façon.
La principale molécule contenue dans
le cannabis et qui agit sur les neurones est le THC (TetraHydroCannabinol).
Le THC imite la molécule d’un
neurotransmetteur (anandamide)(Voir Figure 10).
Il peut alors se fixer sur des
récepteurs appelé cannabinoïde(deux
types : CB1 et CB2).
Les récepteurs CB1 sont présents sur
les neurones inhibiteurs à GABA. Le cannabis empêche donc le neurone inhibiteur
d’agir et les neurones à dopamine libèrent la dopamine. Le circuit de la récompense est alors activé.
(Voir Figure 7)
Des récepteurs cannabinoïdes CB1 sont
aussi présents dans d’autres parties du cerveau, sur des neurones contrôlant
les émotions, la capacité à mémoriser, la coordination des mouvements.
Des récepteurs cannabinoïdes CB2 sont
présents sur certains neurones, en plus petite quantité, impliqués dans la
dépression, l’anxiété et la schizophrénie.
La nicotineutilise le même mode d’action que les
opiacés. Elle imite un autre neurotransmetteur naturel,
l'acétylcholine, qui a
un effet excitateur, et qui se fixe sur des récepteurs présents naturellement
sur les neurones à dopamine (récepteur nicotinique) Les stimulations
nicotiniques augmentent la libération de dopamine. (Voir Figure 7)
b.
Amplification
de l’effet naturel du neurotransmetteur
La cocaïne,comme les amphétamines
ou l'ecstasy, agit en bloquant la
recapture de certains neurotransmetteurs par le neurone : la dopamine (plus
grande dépendance), la noradrénaline (énergie) et la sérotonine (le sentiment
de confiance).
Le mécanisme de recapture correspond
au point 4 de la figure 5.
Le mécanisme de blocage est le
suivant : les molécules de ces drogues
se fixent sur les transporteurs chargés d’éliminer l’excès de ces
neurotransmetteurs de la fente synaptique, et empêchent ceux-ci d’être recaptés
par le neurone émetteur et fait ainsi augmenter leur concentration dans la
synapse.
Ca va donc amplifier l’effet naturel de la dopamine, dela noradrénalineet
de la sérotonine sur le neurone post-synaptique.
Avec la prise chronique de cocaïne,
d’amphétamines ou d'ecstasy, le cerveau garde un niveau élevé de neurotransmetteurs
dans le circuit de la récompense. La membrane post-synaptique va s’adapter à ce
haut taux de dopamine en créant de nouveaux récepteurs.
Cette nouvelle sensibilité provoquera la
dépression et le sentiment de manque quand la personne cessera de prendre de la
drogue.
c.
Inhibition
(blocage ou ralentissement) d’un neurotransmetteur naturel
La molécule d’alcool (éthanol)se
diffuse facilement dans le cerveau et s'accroche à plusieurs types de récepteurs de neurones
(contrairement aux drogues qui ne concernent qu’un seul type de récepteur). En
se fixant sur les récepteurs, l’éthanol les modifie ce qui a pour conséquence
de diminuer les messages nerveux.
En particulier l’éthanol bloque l’effet
excitateur du récepteur du glutamate (récepteur appelé NMDA : N-méthyl-D-aspartate) ce qui limite
l’activité neuronale et explique les effets de l’alcool sur les fonctions
cognitives (mémoire et apprentissage).
De plus, l’alcool se fixe sur le
récepteur GABA du neurone à dopamine et l’inactive : la libération de dopamine
n’est donc plus inhibée et le circuit de la récompense est activé
Synthèse des modes d’action des drogues :
Le tableau
qui suit récapitule les modes d’action de chaque drogue sur les neurones.
Opiacés
(héroïne)
|
Cocaïne
|
MDMA
(ecstasy) |
Cannabis
|
Alcool
|
Tabac
|
|
Imitation
de neurotransmetteurs naturels
|
X
Endorphine |
X
Anandamide |
X
Acétylcholine |
|||
Amplification
de l’effet naturel du neurotransmetteur
|
X
|
X
|
||||
Blocage
neurotransmetteur
|
X
|
Figure 12 : Tableau de synthèse
des modes d’action des drogues